Lettre au psychanalyste américain André Patsalidès: " Peux-t-on définir Soufanieh ? " - Prof. Antoine Makdisi

- 1. Prélude à une lecture

- 2. Les composantes d'une œuvre

- 3. L'homme de Soufanieh et son tournant

- 4. Quand je prie

- 5. Lire Soufanieh

- 6. Qu'en est-il de la prière

- 7. Un projet divin
   


PEUT-ON DÉFINIR SOUFANIEH?

A monsieur André Patsalidès, psychanalyste

Mon cher Maître,
 

Je tiens d'abord à vous remercier de la soirée que vous et Mme Patsalidès avez voulu bien m'accorder, il y a environ un an, et durant laquelle nous avons fait ensemble un tour d'horizon sur quelques grands problèmes posés par le phénomène Soufanieh. Chacun de nous s'est exprimé librement sur ce qu'il pense du phénomène dans son ensemble et dans les questions qu'il pose à notre raison moderne. Nous étions tacitement d'accord, me semble-t-il, pour dire que c'est un champ riche pour les investigations psychologiques, sociologiques, philosophique, théologiques, spirituelles... et psychanalytiques bien entendu. Vous avez eu à l'occasion, m'avez-vous dit, de voir plus d'une fois Myrna, son mari et quelques-uns de leur entourage, si je ne me trompe, et de leur poser, chacun à part, les questions qu'il faudrait. Les réponses que vous avez eues (et celles que vous auriez d'une éventuelle dernière rencontre avec Myrna, avant votre départ de Damas) vous ont suggéré et suggèreront certaines conclusions que vous allez consigner dans un document. Votre investigation est-elle déjà complète pour un psychanalyste de votre classe, conscient des exigences scientifiques et méthodologiques de son art ? Je le suppose.

Nos réflexions, vous vous en souvenez, étaient improvisées et à bâtons rompus, donc nécessairement lacunaires. J'aurais voulu qu'on puisse les poursuivre dans une autre soirée. Mais votre départ était hélas imminent et votre emploi de temps surchargé. Aurons-nous l'occasion de nous rencontrer à Münster, en Allemagne? Je l'espère, comme j'espère pouvoir avoir votre document qui est, pour moi, très important.

Le colloque du père Adel Théodore Khoury vient à point. Les trois messages de 1990, me semblent terminer une étape de la vie de Soufanieh. Puis-je ajouter que la guerre du Golfe, désastreuse pour tout le monde, à tous les points de vue - et encore inachevée hélas - nous a fait vieillir de plusieurs années et peut-être nous a mûris pour une réflexion en commun sur le destin spirituel d'une humanité qui a perdu, même le sens de l'humain ?

En tous cas Soufanieh, après bientôt presque neuf ans de vie riche dans toutes les directions de notre vie, est déjà mûre pour un dialogue-méditation entre savants et spécialistes de plusieurs disciplines scientifiques et de différentes régions du monde. Dans cette rencontre d'éminents savants, je serai le profane de Lachelier, toujours nécessaire dans un jury de spécialistes. Ma collaboration sera cette lettre, projetée dans ses grandes lignes, juste après notre dernière rencontre à Damas, et que plusieurs épreuves de santé aussi bien que d'autres besognes urgentes, m'ont empêché de rédiger en son temps.

PRÉLUDES À UNE LECTURE.
 
Peut-on justifier Soufanieh, ce qui veut dire l'expliquer en la ramenant aux causes qui l'ont provoquée, ceci d'un côté, et d'un autre la comprendre en dégageant la signification qui la rend plausible pour notre raison? Un phénomène humain et aussi bien ses conditions d'existence que la direction vers laquelle il dirige notre regard; ce qui est notre à-venir. Plutôt, me suis-je dit, essayer de la définir. La définition est, elle aussi, une justification. C'est encore informer la raison que de répondre à la question - qu'est-ce que - ou d'interroger en direction de l'essence, ou encore faire le tour du phénomène pour dégager ses composantes et sa structure d'ensemble. Mais dans quelle mesure la chose est-elle possible? En tous cas, la réponse à n'importe laquelle des interrogations précédentes me permettrait de situer la psychanalyse dans l'économie du phénomène Soufanieh, et aussi de situer Soufanieh par rapport à la psychanalyse. La psychanalyse est certes une approche rationnelle d'importance capitale pour la compréhension d'un phénomène aussi englobant que Soufanieh, même dans une perspective strictement humaine. Mais est-ce la seule approche? Il y a aussi la sociologie - Soufanieh est un phénomène de moeurs - de psychologie individuelle et collective et pourquoi pas l'anthropologie, la caractèrologie et d'autres disciplines scientifiques.

Derrière Soufanieh se profile toute une conjoncture socio-politique, économique et culturelle, qui constitue le milieu où s'édifie le phénomène aussi bien que son homme et sa spiritualité. Cette conjoncture pourrait et devrait nous aider, quoique indirectement, à mieux comprendre les réactions que suscitent Soufanieh et les réactions bilatérales qu'elle a avec son environnement.

D'un autre côté, l'homme - l'enjeu principal et même unique de Soufanieh - n'est pas d'un seul tenant. Il est multiple par ses structures psycho-organiques, ses composantes et surtout le niveau de son existence. On connaît un peu toute la littérature psychologique et philosophique, en cours aujourd'hui sur le sujet, le soi, le moi, le conscient et l'inconscient ou le subconscient. La société qui forme et informe l'homme n'est pas moins complexe que l'individu. Elle est en effet un ensemble relationnel divers et diversifié par ses institutions, les intérêts multiples de ses institutions aussi bien que les idées et sentiments qui les régissent. L'ensemble individu-société forme un tout vivant, agissant et qui, par son agir, constitue une histoire plus ou moins ouverte sur son avenir et l'avenir du monde humain.

Et c'est précisément cette histoire que Soufanieh vient à l'improviste couper en deux et acheminer vers un à-venir probablement totalement autre que celui plus ou moins vaguement projeté par le vieux quartier, histoire qui aura des répercussions beaucoup plus loins que la Syrie et le monde arabe. Quel sera cet à-venir? Quelle est l'interrogation sur laquelle vient achopper tout essai rationnel de justification ou de définition de Soufanieh ? Comme vous le savez, l'être humain, individu et société, est son à-venir, ou ce qu'il projette d'être, encore ce que les forces et énergies en jeu en lui et autour de lui, destinent à être. Or Soufanieh n'est pas que Myrna, sa famille et ses voisins, n'est pas que ses orants, amis et visiteurs, n'est pas que l'intérêt, que la curiosité qu'elle suscite un peu partout dans le monde. Il y a, autrement dit, en Soufanieh, un surplus sur elle-même, ou plus exactement sur nous qui nous intéressons à elle, aussi bien que sur ses conditions d'existence. Ce surplus est là où il nous faut placer nos interrogations et nos méditations, et encore où il nous faut chercher la signification de Soufanieh et sa destinée. Mais ce surplus n'est pas régi uniquement par notre agir d'homme ou notre énergie créatrice. Soufanieh est la maison de la Sainte Vierge comme nous l'appelons, ce qui veut dire qu'elle est habitée par une existence extra-humaine qui l'informe et nous informe sur le chemin à suivre pour que la Volonté du Seigneur soit faite sur nous et sur le monde. A cet égard les messages sont, pour le moment du moins, le texte à méditer, texte encore inachevé qui ne le sera jamais probablement, mais qui n'en reste pas moins d'une importance capitale surtout pour l'église de l'avenir. Mais nous aussi, humains, avec notre intellect limité, ne sommes pas neutres. Myrna qui paraît être la plus réceptive parmi nous, de par sa nature propre, son activité est à chercher surtout dans la langue des messages comme on va le voir et encore un jour peut-être dans le développement même de Soufanieh.

Je dirais en bref que Soufanieh est à jamais incontournable. Aussi ma définition sera-t-elle une suite d'approches à travers laquelle j'espère pouvoir saisir ce où la psychanalyse peut nous aider à comprendre dans quelle mesure l'homme est maître de sa destinée, naturelle et surnaturelle.

LES COMPOSANTES D'UNE OEUVRE.

Les composantes de Soufanieh sont trois complémentaires:

1. La prière

2. Les manifestations surnaturelles

3. La présence invisible de Jésus, le Christ de Dieu
 
A Soufanieh l'on prie. La maison, devenue habitat de la Sainte Vierge, est, depuis le premier jour où l'on a vu l'huile sur l'icône sainte, ouverte en principe jour et nuit pour les orants, visiteurs et curieux, pour les malades qui parfois passent la nuit dans le voisinage de l'icône sainte et sous sa protection. La mère sainte est toujours à la disposition de ses enfants, qui sont libres de venir la saluer à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Tout est gratuit dans la maison de la Vierge (on n'admet qu'un bouquet de fleurs) tout est spontané, simple, direct (du coeur au coeur) et chacun, groupe ou individu, demande ce qu'il désire avoir et tel qu'il l'entend. La seule prière régulière commence à cinq heures de l'après-midi et dure jusqu'à environ six heures et demie. Les improvisations sont admises et même encouragées. Cette prière de l'après-midi se prolonge parfois, avec Myrna, et quelques fois, jusqu'à neuf heures du soir, voir même jusqu'à l'aube. Dans les grandes commémorations; (jeudi et vendredi-saint, veille de Noël, veille de la fête de Soufanieh, le 27 novembre, anniversaire de l'apparition de l'huile pour la première fois sur l'icône sainte), la prière commence vers trois heures et demie ou quatre heures de l'après-midi et se prolonge jusqu'à neuf heures environ. Les orants et visiteurs, de tous âges, de toutes classes sociales, religions, confessions, hommes, femmes, prêtres, religieuses, se pressent dans la maison et parfois dans la rue qui y conduit. On prie et on attend un signe. La prière est spontanée. Quelqu'un commence un chant et les autres suivent. Un poète populaire improvise un poème en l'honneur de la Sainte Vierge et les autres retiennent le refrain et le reprennent.

La prière est, en bref, le régime ordinaire, normal de Soufanieh. Régime voulu comme tel par Jésus et Marie qui insistent souvent dans leur messages sur la nécessité et l'urgence de la prière.

PRIEZ, PRIEZ , PRIEZ, répètent les messages sans cesse.

Tout à Soufanieh prend la forme de la prière, même les actes de la vie ordinaire. Tout y est en même temps l'expression d'une volonté divine et constitue de ce fait, une manifestation surnaturelle. Il me faut souligner ici quatre de ces manifestations.

D'abord, l'huile qui suinte souvent de l'icône sainte, de quelques unes de ses reproductions déjà imprimées par centaines et parsemées un peu partout dans le monde. Comme elle apparaît sur les mains de Myrna surtout pendant la prière, ainsi que sur son visage pendant les extases, l'huile est devenue par sa fréquence, pour le commun des hommes, le signe de Soufanieh.

Puis les stigmates. Les cinq plaies de Jésus crucifié ont apparu jusqu'à présent quatre fois sur le corps de Myrna, toujours en présence de dizaines de personnes qui prient, de prêtres qui assistent Myrna, notent ses paroles et ses remarques, et encore en présence de plusieurs médecins spécialistes qui observent et analysent aussi bien les plaies que les variations organiques du corps participant à la Passion de Jésus. Il est important de noter que les stigmates sont apparus dans les années où coïncidaient la Pâque des orthodoxes et la Pâque des catholiques. (2)

Troisième manifestation: les miracles au sens propre du terme. C'est-à-dire quand le Seigneur accentue sa présence à l'usage des esprits forts. Les exemples classiques sont d'un côté la guérison subite et souvent complète d'une maladie déclarée incurable par les spécialistes; d'un autre la conversion ou changement radical pour un homme dans la direction et la signification de sa vie.

Quatrième manifestation: les messages de Jésus et de Marie qui sont les plus importants à long terme parmi les manifestations surnaturelles. C'est en effet dans ces messages que le Seigneur exprime Sa volonté sainte sur Soufanieh et sur l'humanité toute entière, et que Soufanieh accède à la pleine conscience d'elle-même. Il faut méditer ces messages pour remarquer qu'ils constituent une suite logique, un programme de vie chrétienne par étapes pas encore achevées.

Troisième composante de Soufanieh: la présence invisible de Jésus. Soufanieh est une oeuvre de Jésus, le Verbe de Dieu qui l'a confiée à la Sainte Vierge, Fille du Père, Mère de Dieu et l'Épouse de l'Esprit-Saint. (message du 7/9/85) Qui L'honore, M'honore dit encore Jésus dans son message du 14/8/87.

Le salut commence avec la naissance de Marie, comme il est déclaré dans les messages de Jésus du 7/9/85. Tout est en commun entre Jésus et Marie. Jésus intervient avec toute son autorité divine pour authentifier l'oeuvre qui s'est accomplie par sa mère à Soufanieh.

Le premier message de Jésus (31/5/84) qui commence par cette déclaration divine: Je suis le commencement et la fin. Je suis la Vérité, la Liberté et la Paix constitue un tournant. En effet, presque un an et demi après ce dernier message, Jésus nous met à travers Myrna devant le choix ultime, celui qui décide de notre destinée éternelle: Moi ou le monde.

Deux ans durant (27/11/85 au 26/11/87), Myrna est soumise à une dure épreuve ou les mises en garde, parfois sévères ne manquent pas.(3)
 
L'HOMME DE SOUFANIEH ET SON TOURNANT
 
Je reviendrai plus tard sur ce même sujet. Il me faut pour le moment faire remarquer que les messages de ces deux années de tournant, forment un tout où chaque message, parfois chaque phrase d'un même message ne se comprend qu'à la lumière de l'ensemble. L'ensemble à son tour ne se comprend que dans le texte et le contexte général de Soufanieh. Si le message du 18/4/87 (Samedi-Saint): Je vous ai donné un signe pour Ma glorification. Poursuivez votre route et Je suis avec vous, sinon... a jeté le trouble dans nos esprits, et nous a paru un peu étrange, c'est que, dans le courant de notre vie quotidienne consacré aux soucis du monde, nous oublions cette vérité essentielle de l'Evangile, à savoir que Jésus nous réclame, chacun de nous tout entier et sans partage. Aussi nous ramène-t-il dans ses messages à l'évidence: Soufanieh n'est pas une scène de théâtre où l'on fait des exhibitions pour le plaisir des spectateurs. Les manifestations surnaturelles sont un appel à entendre et à changer sa vie passée pour la faire renaître en Jésus.

Le message adressé à Myrna (et à nous à travers Myrna bien entendu) environ quatre mois et demi plus tard (7/9/87) est beaucoup plus sévère et nous ramène en fin de compte à la même vérité. On est ami de Jésus dans la mesure où l'on extirpe de soi les racines du monde et de la vie mondaine. Entre-temps Jésus avait fait appel dans trois messages successifs à la charité universelle, à la prière et à la nécessité de venir à lui par sa mère.

En bref, Soufanieh forme un tout ouvert ou un projet de longue haleine comme on va le voir. Aussi faut-il suspendre son jugement quand nous n'arrivons pas à comprendre et attendre la lumière de Dieu. Mais l'homme hélas, acculé au monde voudrait toujours des réponses instantanées.

Une objection: qu'en est-il de l'homme qu'on a déclaré être l'enjeu de Soufanieh ? On aurait dû le citer parmi les composantes de la maison de la Vierge. Il y a certes un homme de Soufanieh. Cet homme est une génération que Marie annonce dans son message du 28/10/83: Ne crains pas, en toi J'éduquerai ma génération. Marie insiste en répétant les mêmes paroles le 4/8/85, Jésus les fait siennes le 22/7/87.

Tel est le véritable enjeu de Soufanieh: une nouvelle génération, objet d'une élection et d'une pédagogie divines. Projet de longue haleine qui commence à partir d'un vieux quartier de Damas, nous fait penser, même remonter - nous qui vivons à l'âge du gigantisme technologique- au début du christianisme.

Comment former cette génération, dira-t-on et pourquoi faire? Une grande partie de cet exposé sera plus tard consacrée à y répondre. Pour le moment il me faut répondre à la question que je viens de poser: pourquoi ne pas mettre l'homme parmi les composantes de Soufanieh? Pour la simple raison que cet homme n'est pas pour-soi et en-soi, n'est pas l'homme des philosophes. Il est plutôt pour-Dieu et en-Dieu.

Car toutes les fois que tu regardes les créatures, le regard du Créateur s'éloigne de toi dit Jésus à Myrna dans son message du 26/11/85, et il ajoute immédiatement: Je veux, ma fille que tu t'appliques à la prière et que tu te méprises. Celui qui se méprise aura plus de force et de dignité de la part de Dieu . En dehors de la Croix et de ses souffrances, pas de salut pour l'âme qui reçoit sa force des plaies de Jésus, est-il dit en substance dans le même message et dans d'autres (voir 7/9/87 et 7/9/88).

Il est donc demandé à l'homme ici de se désister de soi et encore de l'autre en tant qu'adversaire ou en tant qu'homme soumis aux préjugés du monde. Jésus nous dit à travers Myrna dans son message du 31/5/84: Celui qui ne cherche pas l'approbation des gens et ne craint pas leur désapprobation jouit de la paix véritable. Par contre (26/11/87): Ne déteste personne pour que ton coeur ne s'aveugle pas sur ton amour pour Moi. Aime tout le monde comme tu M'as aimé, principalement ceux qui te haïssent et qui disent du mal de toi, par cette voie tu obtiendras la gloire.

Cette marche vers la charité universelle à travers la croix me rappelle cette phrase de l'Evangile de saint Jean: Mon corps est le pain que je donne pour le salut du monde. L'autre n'est donc pas nié, ni le monde; l'autre est plutôt vu dans la lumière de la rédemption qui le déleste des préjugés du monde, et du monde lui-même en tant qu'espace d'une lutte sans merci pour l'argent. Mon amour doit transfigurer l'autre en prochain (celui qui est proche de moi, qui est mon parent comme le suggère le mot arabe). Et c'est dans cette perspective que Jésus peut dire à Myrna (26/11/87): persévère dans ta vie d'épouse, de mère, et de soeur. Jésus et Marie avaient insisté (Marie le 27/11/83 et Jésus le 7/9/84) pour que Myrna continue sa vie conjugale comme auparavant, mais avec l'assiduité à la prière, en plus, ajoute Jésus. Soufanieh est d'abord et en premier lieu, une communauté de prière. La prière nous sépare du monde, nous met auprès de Dieu et par le fait même nous ramène au monde pour le découvrir dans la lumière de la Croix. Ce rapport ambigu Jésus-monde, le retrouve-t-on à Soufanieh? Soufanieh serait-elle l'un de ces lieux privilégiés que Jésus multiplie un peu partout dans le monde et met souvent sous le patronage de sa mère, pour ramener le monde au Père Céleste ? Très probablement. Parlant de Soufanieh dans son message du 26/11/86, Jésus dit: Qu'il est beau ce lieu. J'y construirai mon royaume et ma paix. Je vous (pluriel) donne Mon coeur pour posséder votre (pluriel) coeur. Vos fautes sont pardonnées.
 
QUAND JE PRIE.

L'homme est tout entier présent dans chacun de ses actes qui le forment et par le fait même tissent sa destinée ici-bas et là-bas. Aussi suis-je présent et reconnaissable dans tout ce que je fais et je dis. Et c'est précisément ma présence active à mes actes et à mes paroles qui fait l'unité de ma vie et de ma personne. Il est évident que ces actes diffèrent les uns des autres par leurs objectifs, les circonstances qui les ont provoqués, par la plus ou moins grande participation de leur réalisation et surtout par leur potentiel existentiel. Certains d'entre eux décident de mon avenir: le choix d'une carrière, d'un ami, le mariage... Souvent ma conscience est l'espace d'une lutte entre charnel et spirituel: préférer l'argent à l'étude ou le contraire, prendre sa revanche ou pardonner... Le terme rejeté laisse pourtant son empreinte sur le terme adopté. Certains actes traversent l'ensemble de ma vie et la bouleversent de fond en comble, par exemple la conversion à une idéologie ou à une religion.

La prière quand on s'y donne de tout son coeur, est l'un de ces actes englobant qui emporte mon être tout entier et le place entre deux forces qui le sollicitent également. Dieu, mon espoir, et le monde de mes amours, mes préférences, mes haines... ma réalité de tous les jours où j'ai à gagner et à défendre ma place sous le soleil; ma place, dirais-je encore, entre les promesses de la vie éternelle et la pesanteur du monde qui m'entraîne à mon insu là où je ne voudrais pas aller. La grâce divine est toute prête pour me secourir. Mais Dieu n'empiète pas sur ma liberté. Dieu attend, pour intervenir, ma décision et le sérieux de cette décision.

La prière, quand elle est voulue et poursuivie comme telle, n'évoque pas une affaire de tout repos. Ce mot de Fénelon dans l'une de ses lettres à Mme Guyon: ne réfléchissez pas sur votre prière, pointe vers ce que j'appelle le problème de la prière. Pour un mystique, un spirituel comme Fénelon, la prière atteint un tel degré d'intensité que la vie en Dieu remplit le coeur de l'orant et le coupe entièrement du monde ambiant. Mais ce n'est pas la même chose pour le commun des mortels. En effet plus j'intensifie ma prière, plus je m'isole de mon milieu proche et lointain, et plus le monde m'assiège sous forme d'images-effets, qui me ramènent à ce qu'il y a de plus actuel dans ma vie. La prière établit, autrement dit, une distance, une zone vide, entre moi et mon monde, distance qui ne peut pas rester vide. Et ce sont les péchés que révèle la prière. Or le péché est souvent le fruit défendu au goût délicieux dont parle le livre de la Genèse. Aussi le regret, le repentir lui-même n'est-il pas toujours pur. Des éléments étrangers s'y infiltrent en dépit de mon effort pour les écarter, ou comme si mon effort aiguisait leur souvenir. Ces éléments étrangers, ces images-effets qui paraissent et disparaissent par éclair: si j'étais un peu plus courageux, j'aurais humilié mon adversaire qui le mérite. Avec un grain d'esprit d'aventure j'aurais gagné une grande somme d'argent. Cette femme - ou cet homme - était à ma disposition. Mais j'ai hésité au moment opportun. Toujours l'orgueil personnel qui me chatouille, rend mes pas vers Dieu, plus lourds, plus lents, comme si Dieu pouvait attendre mon bon plaisir pour intervenir. Ce qu'on oublie vite, c'est le discours sur la montagne qui est pourtant la réplique à la Croix. Jésus avait désigné discrètement un faux dieu autre que l'argent: le plaisir de la chair, qui est l'une des forces du monde actuel et que, à notre insu, nous croyons inoffensif. A l'acte bénin au premier abord, tel baiser volontairement partagé avec l'autre, est d'ores et déjà un jeu dangereux avec nos deux sensibilités et qui pourrait engager notre chair dans une voie aux conséquences incalculables.

Je dirais encore que la prière est moi-même nu devant Dieu. La prière est de ce fait un coup de sonde dans les profondeurs de l'âme qui me révèle à moi-même tel que le monde m'a formé: mon orgueil qui m'administre la preuve de ma supériorité sur l'autre, les mensonges, dont je me sers pour cacher à moi-même et à l'autre mes défauts, lacunes, torts, complexes et autres déformations; ma jalousie qui ronge de l'intérieur mes capacités créatrices et déforment ma vue de l'autre. Se cachant derrière un camouflage approprié, le péché se faufile presque un peu partout dans chaque regard que je porte sur mes actes, sur les évènememts de ma vie et sur les autres. Aussi la prière ne se réalise que lorsque je réussis à me désister de moi-même. Il n'est donc pas étonnant que Jésus demande à Myrna de se mépriser et même de pousser l'abnégation de soi jusqu'à la croix si c'est nécessaire (message du 26/11/85).

La prière, comme tout acte chrétien, nous met sur le chemin de la Croix.

J'ai été crucifié par amour pour vous dit Jésus à Myrna, et discrètement il lui demande et nous demande de lui rendre la pareille en nous crucifiant pour le prochain.
 
LIRE SOUFANIEH.

Je retrouve l'homme tout entier dans son oeuvre, raison, imagination, sensibilité... et l'affectivité où s'effectue le passage de l'inconscient à la conscience, du charnel au rationnel et spirituel. Et c'est par le biais de l'affectivité que le potentiel de l'inconscient, travesti de cent façons, s'infiltre dans notre vie consciente et l'incline dans un sens ou dans un autre. Aussi l'affectivité est-elle le domaine privilégié de l'investigation psychanalytique qui s'en sert pour pénétrer dans le tréfonds de l'archaïque. Mais l'oeuvre proprement dite, qu'elle soit une politique ou texte romanesque, une entreprise économique ou une philosophie, est le produit d'un acte conscient, et c'est cet acte qui révèle l'Ouvrier dans l'oeuvre. C'est pourquoi chacune de mes oeuvres, de mes paroles est, en principe, justifiable du moins à mes yeux. Paul Ricoeur remarque pertinemment de l'oeuvre romanesque qu'elle ouvre un nouveau champ rationnel(4). L'irrationnel, l'absurde, est à chercher surtout dans l'image que nous nous faisons des choses, telle la vision de l'en-soi (l'être chez Sartre(5)), ou par exemple encore, dans les mythes, une fois leur temps complètement révolu. Pour l'athée, l'oeuvre de Dieu, ou plus exactement ce que le croyant croit être l'oeuvre de Dieu, est un produit de l'irrationnel. Je dirais plus généralement que la foi n'est devenue irrationnelle que par notre interprétation. En bref, l'irrationnel ne l'est que par l'homme et sa façon de voir et d'agir(6).
 
QU'EN EST-IL DE LA PRIÈRE ?
 
La prière bien comprise, est un acte total, c'est-à-dire qui engage l'homme tout entier, corps et âme, esprit et matière. Aussi porte-t-elle en elle-même sa propre rationalité. Je dirais plus simplement que le créé a le droit et le devoir de demander la grâce de son créateur. A fortiori en est-il du fils qui court trouver refuge auprès de son père.

L'acte de prier, en tant qu'acte vivant, résorbe en lui ces données de départ. Aussi implique-t-il en lui-même sa raison d'être ou sa rationalité à chercher, dans la signification que lui donne l'orant.

Plus généralement, l'acte est d'abord le sens que lui donne l'actant. La rationalité de la science est d'un autre domaine. Il faut à cet égard faire le départ entre ce qui se fait et ce qui est fait, ou le départ entre la rationalité de l'acte et la rationalité du donné. Dans une oeuvre, telle que Soufanieh , il me faut chercher sa rationalité dans les objectifs que lui assigne son Ouvrier et qu'il a exprimés dans ses messages, au nombre de trois:

1. La formation d'une génération appartenant

à Jésus et Marie

2. La préparation à la prêche

3. La réalisation dans les coeurs de l'unité de l'Église
 
Tout cela constitue d'une part ce que j'ai appelé pédagogie divine, dont l'instrument principal est la prière, à la fois moyen et fin, et d'autre part le désistement de soi en faveur du prochain.

Dans son livre Poétique psychanalytique(7) où il classe et étudie des cas qu'il a traités, Jacques Durandeaux écrit, dans les deux dernières lignes du livre, que l'objectif de la psychanalyse est ce qu'on appelait autrefois la sainteté. Cette conclusion est d'autant plus étonnante que le psychanalyste, qui est un prêtre catholique, comprend bien de quoi il s'agit quand on parle de sainteté et que rien dans les cas analysés - tous morbides - ne prépare à cette conclusion. Veut-il dire que la psychanalyse, en purifiant l'inconscient de ses tares, rend à l'âme sa disponibilité pour recevoir la grâce de la sainteté? Rien dans le livre ne suggère cette réponse.

Il est évident que souvent nous intensifions notre recours à Dieu au moment où nous nous sentons faibles, abattus, et sans soutien. La prière peut alors éveiller l'archaïque toujours morbide au dire des psychanalystes. Puis il est rare qu'une foi religieuse vraiment vécue ne soit accompagnée de superstitions, même d'idôlatrie. La sainteté elle-même peut charrier des éléments douteux(8). Rien d'étonnant, puisque l'homme est tout entier présent dans sa foi, comme dans ses autres actes. Ce serait vraiment anti-scientifique que de ramener l'archaïque, la foi, la prière et la sainteté à leur arrière-fond maladif.

Paul Ricoeur est beaucoup plus juste, beaucoup plus près de la vérité quand, pour comprendre les phénomènes de la paternité, il distingue dans notre existence trois niveaux qui sont ses composantes:

1. Le niveau de l'Oedipe ou du fantasme,

2. Le niveau de la phénoménologie de l'esprit et de la civilisation,

3. Le niveau de l'invocation où l'analyse cède la place à la prière. (9)
 
Ces niveaux se con-pénètrent dans notre existence. Mais chacun d'eux garde son indépendance, son développement et sa dialectique propre. Ici se vérifie le mot de Leibnitz, cher au cardinal Newmann, Les choses inférieures se trouvent dans les choses supérieures, meilleures qu'en elles-mêmes.

Je dirais pour ma part qu'il y a dans l'homme un surplus sur lui-même qui est le lieu de sa créativité, où il se forme, forme son monde, donne une signification à son existence et parvient à la pleine conscience de soi. Ce surplus, dirai-je encore, et là où l'on investit les talents à nous impartis, et donnons ainsi la mesure de notre capacité créatrice. A ce niveau, rien n'est de la nature du donné. Par contre tout est à faire à chaque moment de notre vie. Or l'analyse rationnelle et scientifique n'a de prise que sur le donné, le tout fait. Or à Soufanieh, presque tout est à faire. J'ai déjà dit que Soufanieh n'est pas Myrna et les orants etc... J'ajouterai ici volontiers qu'elle n'est pas non plus Jésus et Marie seuls. Elle est plutôt tout ceux qui participent à sa formation, y compris Jésus et Marie. Soufanieh, dirais-je en bref, est une oeuvre qui se fait. Aussi faut-il la saisir là où elle est, c'est-à-dire en tant qu'acte créateur qui nécessite la collaboration entre Dieu et les hommes.

Un ami me disait il y a quelques jours, après avoir lu une centaine de pages du livre déjà cité sur Soufanieh: le récit du père Zahlaoui est véridique. Je n'en doute pas, comme je ne doute pas de la présence divine à Soufanieh. Mais que représente tout cela par rapport aux grands bouleversements qui ont changé et changeront en quelques années le visage du monde plus d'une fois? J'aurais voulu dire, répondre qu'on peut dire la même chose à propos de toute manifestation du surnaturel. Que représentait en effet Jésus de Nazareth et ses pécheurs par rapport à l'empire romain aux premiers siècles? Mais j'ai préféré garder le silence jusqu'à ce que cet ami, assez intelligent et perspicace, achève la lecture du livre.

Il est frappant que Soufanieh paraît au moment où sur le plan international la révolution scientifico-technique poursuit et multiplie les bouleversements mondiaux déjà commencés par la révolution industrielle au début du siècle précédent. Peut-être que le bouleversement, opéré dans l'homme et ses idées, est encore plus radical. L'homme croit en effet avoir atteint sa majorité et qu'il est ainsi capable de présider au destin de son monde, sans le secours d'une force étrangère appelée Dieu.

Il n'est pas moins frappant que la psychanalyse, destinée à gérer la vie intérieure de l'homme, a fait son apparition à la fin du siècle dernier et qu'elle a conquis le monde dans le siècle présent.

Le troisième phénomène qui doit retenir notre attention dans ce siècle, c'est la conquête du monde par des idéologies qui prétendent tout expliquer, tout comprendre et tout régir, que j'appelle les idéologies du salut, en l'occurrence l'idéologie marxiste dans sa version léniniste. Celle-ci prétend écarter la foi religieuse et prendre sa place. Ces idéologies sont-elles à écarter après la chute du marxisme soviétique? Je ne le pense pas, car quand on remonte à leur origine, on le trouve dans un désir, un rêve de l'homme plusieurs fois millénaire. C'est le rêve d'une société égalitaire et d'un paradis sur la terre. Or ces rêves sont en surplus sur leur formulation. Ils trouveront toujours la formule adéquate pour une période donnée de l'histoire. Ce qui leur donne plus de force, plus de consistance et de permanence, c'est l'orgueil de l'homme qui voudrait être maître absolu de son destin en tant qu'individu, société et histoire.

Mais, dira-t-on, le vieux quartier de Soufanieh qui est à l'origine du phénomène et qui reste toujours sa source, n'est-il pas en dehors de tous ces bouleversements sociaux, idéologiques et techniques? nullement. La civilisation technique est programmée, qui est le produit principal de la révolution scientifique et technique, a déjà fait la conquête du monde indirectement par deux de ces principaux produits: l'outil sophistiqué et la société de consommation.

Trois des produits de la civilisation technique et programmée sont les plus dangereux pour la foi religieuse, car ils peuvent l'atteindre dans ses racines les plus profondes:
 
1. La société de consommation qui forme elle aussi sa génération, génération qui ramène l'existence humaine aux jouissances de la chair.
 
2. La modernisation qui marginalise le religieux dans son ensemble, dans l'institution qualifiée de périmée par rapport aux nouvelles structures, dans le credo qui paraît mythique aux jeunes générations, et dans l'homme qui est d'un autre âge.
 
3. Enfin la socialisation de la religion et du religieux, c'est-à-dire le fait de ramener la foi à ses manifestations sociales. La socialisation est la plus dangereuse parce qu'elle conserve le religieux et le vide de son contenu propre qui est le spirituel ou le rapport vivant avec Dieu. La prière elle-même par ses formes stéréotypées est déjà depuis longtemps un rite social dont on peut se passer facilement chez la plupart de ses pratiquants.

Encore une fois la question de mon ami: que peut faire Soufanieh pour arrêter cette évolution inéluctable au premier abord qui met la foi religieuse en marge de l'activité productive de l'homme? J'aurais voulu demander à mon ami que veulent dire ces paroles adressées par Jésus à Myrna le 26/11/88: Sois forte et que ta langue soit un glaive qui parle en Mon Nom. Pourtant Jésus avait déjà qualifié Myrna de jeune fille calme, au coeur plein d'amour et de sympathie (7/9/87) et encore de cœur délicat (26/11/87). Myrna est en plus timide, ignore l'art de parler et se trouve démunie quand il s'agit d'argumenter. Pourtant là où elle se trouve, elle plante une nouvelle Soufanieh. De nouveaux amis de la Sainte Vierge se groupent autour d'elle. Elle a déjà fait plusieurs voyages en dehors de la Syrie: au Moyen-Orient (Liban, Jordanie et Egypte), en Europe (Belgique, Allemagne et France) et enfin en Amérique du nord. La Vierge, avec les reproductions de son icône sainte, précède souvent Myrna et prépare son chemin. L'huile qui paraît sur ses reproductions fait son chemin en dehors de Myrna et de nous tous. Ce qui veut dire que Jésus peut facilement se passer de nous. Myrna est désarmante par sa simplicité, sa modestie et son effacement.

Pourtant, on n'est qu'au début de Soufanieh. Jésus n'avait-il pas dit à Myrna le 7/9/88: En Vérité, Je t'ai dit de surmonter toutes les difficultés, et sache que tu n'en as éprouvé que peu. Jésus et Marie n'ont jamais cessé, depuis le message du 28/10/83 jusqu'au dernier message en date du 26/11/90, d'encourager Myrna: Ne crains pas disent-ils. Sois forte (26/11/88). Il faut que tu triomphes de tous les obstacles. En plus, Marie dit à Myrna (18/8/89): Sois toujours en paix, parce que la créature se tourne vers Moi à travers toi et Jésus lui dit le 10/10/88: Je te donnerai de mes plaies pour oublier les souffrances que les gens te causent.

UN PROJET DIVIN.

Soufanieh est un projet divin. Comme tout autre projet, son objectif est le salut de l'homme ou le retour de l'homme à Dieu. Ce projet est ni plus ni moins le royaume des cieux sur la terre, ou l'Église telle que l'a conçue Jésus, quand il l'a annoncée pour la première fois à ses apôtres. Cette définition de l'Église, déjà ancienne, nous l'avons complètement oubliée. Jésus et Marie nous le rappellent dans trois messages, deux de Marie (24/3/83 et 4/8/85) et un de Jésus (14/8/88). A ce niveau on ne parle pas d'unité. Ce sont nous, les hommes, qui par nos dissensions, avons divisé l'Église en plusieurs tranches, les unes contre les autres. Maintenant Jésus voudrait réaliser cette unité à travers Soufanieh et d'autres voies qui lui sont propres. Ce qu'il nous désigne à Soufanieh comme objectif immédiat dans les derniers messages qui sont de 1990, c'est l'unité de la Fête de Pâques. La génération de Jésus et Marie qui se forme actuellement à Soufanieh est à la fois moyen et fin de cette Église. C'est dans ce sens que Jésus nous dit: (14/8/88) Vous êtes mon Église et votre coeur M'appartient.

Le chemin à suivre pour réaliser cet objectif ultime de Soufanieh et de toute communauté chrétienne, maintenant et pour les siècles des siècles, c'est la Croix. Jésus nous dit (26/11/85) Moi, J'ai été crucifié par amour pour vous et Je veux que vous portiez et supportiez votre croix pour Moi, volontairement, avec amour et patience, et que vous attendiez Ma venue. Quoi de nouveau, dira-t-on? Ces vérités sont celles de l'Évangile. Mais c'est cela le miracle de Soufanieh: qu'elle est dans la ligne de l'Évangile, dans la stricte orthodoxie de l'Église universelle et qu'elle est en même temps bien ancrée dans son milieu natal, même qu'elle est datée. Et c'est précisément cet ancrage qui la prépare à une vocation universelle. Il me semble nécessaire de revenir, une fois après plusieurs autres, à Myrna qui est au centre de Soufanieh, pour déceler cette connexion chrétienne du particulier et de l'universel. Cette connexion, je la trouve dans le langage des messages. Ce qui a toujours retenu mon attention dans ces messages, c'est, d'une part, l'absence presque complète des grandes catégories rationnelles dont je me suis servi pour essayer de comprendre Soufanieh, telles: société, monde, dimension, niveau, espace, pédagogie etc... et d'une autre part, la simplicité de ce langage pauvre en image, en vocabulaire et dénué de toute recherche de style, en plus langage gauche, parfois très mal construit et qui dit pourtant les grandes vérités de l'Evangile dans un style à la fois arabe, local et universel. J'ai essayé dans mes traductions de faire un calque de ce style pour donner au lecteur occidental une idée de ce qui est exprimé dans la langue arabe. Puis Myrna est une fille du terroir. Il suffit de la rencontrer après avoir connu un petit peu Damas, pour remarquer qu'elle est un produit de la génération qui se forme actuellement dans notre capitale, à la fois très ancienne et qui se modernise ou plutôt s'adapte à la modernité avec des moyens de bord.

De ce fait, Myrna nous fournit une preuve en plus de l'ancrage de Soufanieh dans son milieu. Il nous faut à cet égard méditer sur la place de Myrna dans l'économie de Soufanieh et de sa génération. Myrna est placée entre nous, orants et amis de Soufanieh d'un côté et Jésus et Marie de l'autre. En un sens, elle est une messagère, mais qui a son activité propre; ce n'est pas une messagère neutre, quoiqu'elle soit la plus réceptive parmi les actants de Soufanieh. Le texte à méditer sur ce sujet que j'ai déjà cité, c'est: En toi, J'éduquerai Ma génération. Ce texte définit son rapport de messagère entre nous et Jésus et Marie. Mais il reste quand même assez énigmatique. Il nous fait poser plusieurs questions:

. Myrna est-elle un modèle? Nullement. Rien dans les messages ne nous la présente comme un modèle à imiter.

. Est-ce un symbole? Non plus. Elle est une personne en chair et en os.

. Serait-elle un exemple à suivre? Peut-être. Je n'en suis pas absolument sûr.

. A-t-elle un charisme propre? Elle s'en défend. Tout ce qui lui arrive, d'après elle, lui vient de Jésus et de Marie.
 
Je préfère personnellement dire qu'elle est première entre des égaux. J'ai évité à dessein le terme d'avant-garde. Toute cette phraséologie politique courante, est malvenue quand il s'agit de Jésus et de Marie. Il n'en reste pas moins que Myrna est au centre de Soufanieh à tous les points de vue. C'est avec elle que Soufanieh - c'est-à-dire la Sainte Vierge - voyage à la rencontre de nouveaux amis. Myrna est une femme du terroir. On la reconnaît à sa façon de se présenter aux autres et à nouer des relations avec eux. Son attitude, ses gestes, ses paroles, son comportement et sa timidité signent son appartenance. Pourtant c'est elle qui représente Soufanieh en dehors de son pays natal, infiniment plus que nous qui l'accompagnons, par exemple, dans ce voyage à Münster. Sa vocation comme messagère lui vient de sa simplicité et même de sa réceptivité. Notre langue à nous est savante et stylisée. Elle sent le travail, tandis que son langage reflète le plus exactement possible celui du Jésus et de Marie. Et finalement, ce sont Jésus et Marie qui parlent par la bouche de nous tous qui voudrions servir Soufanieh. Mais nous, nous pouvons trahir Jésus et Marie par notre langage savant, Myrna, non.

Il me reste une dernière question pour conclure ce paragraphe sur le projet de Soufanieh, c'est son rapport avec l'Église. Soufanieh n'est pas une église. Car il n'y a qu'une seule Église, celle que Jésus a fondée, comme nous en avertit la Sainte Vierge dans son message du 24/3/83. La Sainte Vierge revient sur le même sujet pour le préciser dans son message du 26/11/89. En effet, après avoir répété les paroles de Jésus à Pierre: Tu es la pierre, et sur elle Je bâtirai mon Église, Elle ajoute vous êtes le coeur dans lequel Jésus bâtira Son unicité. Ce texte est très riche en enseignement. D'abord, Marie et Jésus bien entendu passent outre à toutes les divisions - toutes sont affaires d'hommes. Puis le texte indique l'objectif principal qui est l'Unité de l'Église. Dans les messages de 1990, Jésus et Marie nous demandent de prier pour l'unité de la Fête de Pâques entre orthodoxes et catholiques. Cette dernière unité, malgré son importance, n'est qu'un premier pas vers l'unité totale et complète en jésus et dont Jésus lui-même se chargera.

Le troisième enseignement de ce texte concerne l'unité du cœur qui, elle, nous est demandée à nous hommes. Le mot cœur dans le langage des messages comme dans le langage des deux testaments est très riche en signification. Le coeur c'est la sympathie avec l'homme, l'amitié, l'amour qui unit l'homme et la femme dans le mariage et l'amour qui nous unit à Dieu et qui est Dieu lui-même. Et c'est par la simplicité du coeur que Soufanieh, aussi bien que tout homme de bonne volonté, peut affronter le bouleversement qu'opère dans le monde la civilisation de la révolution scientifico-technique qui nous paraît au premier abord invincible. Soufanieh, dirais-je encore, n'est pas non plus en dehors ou à côté de l'Église. Elle est un noyau dur dont Dieu se servira pour remettre à son Église sa vocation originelle.

Cher maître,

Soufanieh est incontournable, à jamais incontournable. Aussi toute définition qui prétend révéler sa vérité ou son essence serait-elle une spéculation sur la volonté divine, et à la limite un sacrilège. On a le droit et le devoir, de lire Soufanieh, de l'expliquer, de la comprendre puisqu'elle s'adresse à nous, nous interpelle et nous met devant nos responsabilités. La raison ne doit jamais abdiquer ses droits. Mais elle doit toujours reconnaître ses limites pour ne pas les dépasser. Il y a autant de lectures légitimes que de disciplines scientifiques, et autant de dimensions dans le phénomène Soufanieh. Il y a autant de lectures légitimes de l'homme que de niveaux de son existence. Mais aucune de ces lectures ne peut prétendre dire l'homme tout entier ou englober l'ensemble de Soufanieh. Il y a quelque chose qui échappe à la science proprement dite: C'est le surplus de l'homme sur lui-même qui est son acte créateur, et le surplus de Soufanieh sur elle-même qui est Jésus. Ce surplus, qui est la source et la force de l'église, l'Église l'a, hélas oublié.

Je dirais d'une autre façon que la raison est une dimension de l'acte humain et non pas cet acte tout entier. Aussi la lecture scientifique n'a pas le droit d'expliquer l'acte par lequel l'homme se forme et forme son monde. Que dire alors de Soufanieh qui est un projet divin? Je donne pourtant une place privilégiée à la psychanalyse dans ses dialogues entre l'homme et son acte d'un côté, et d'un autre entre l'homme et Dieu.

La lecture sociologique est nécessaire dans la mesure ou elle nous éclaire sur l'infrastructure sur laquelle Jésus et Marie construisent leur génération. La lecture psychologique est aussi nécessaire car elle nous informe sur la matière première dont Jésus et Marie façonnent leur génération. Mais la psychanalyse a quelque chose en plus. C'est qu'elle est une science, une pratique et autre chose. Comme vous le savez beaucoup mieux que moi, votre discipline opère à partir d'un donné qu'elle se propose de façonner. Ce faisant, elle me permettrait de pénétrer dans les profondeurs d'un psyché qui, s'adressant au Seigneur dans sa prière, voudrait le rendre favorable à sa cause. Mais dans le cas de Soufanieh, c'est le Seigneur qui interpelle ce psyché, par ses paroles et ses signes, pour lui faire comprendre qu'il voudrait l'engager dans la réalisation de sa volonté sur les hommes. Ne dit-il pas à Myrna dans son message du 10/10/88: Ne choisis pas ta route parce que Moi Je te l'ai tracée? Comme c'est Marie et Jésus qui assignent à leur génération son objectif ultime qui est de faire pousser dans leur coeur l'unité, l'amour et la foi (messages du 24/3/83 et du 14/4/90). Unité, amour et foi ne sont pas des concepts, ou des catégories de la raison, mais les dimensions de notre vie chrétienne dans ce siècle.

Mon interrogation, cher maître, est alors celle-ci: dans quelle mesure le Seigneur a rendu plus riche, peut-être plus nombreux, les talents impartis à cette âme pour qu'elle puisse se mettre à la hauteur de son destin? Une psychanalyse bien menée pourrait m'aider à voir plus clair l'oeuvre du Seigneur en moi, toujours mystérieuse. Mais vous savez beaucoup mieux que moi que votre discipline est une affaire de longue haleine, qu'elle exige de longues et nombreuses rencontres durant un long délai de temps (deux et même trois ans, à ce que j'en connais). En tous cas, excusez ces pages que je n'ai pas pu rendre plus courtes, comme j'aurai voulu au départ, parce que le sujet me parait extrêmement riche en lui-même et dans ses possibles futurs.

Veuillez agréer, cher maître, l'expression de ma haute considération pour votre science et votre dévouement.
 
 
 

Antoine Makdisi
 

Fête de la Nativité de la Sainte Vierge Marie.

Le 8 Septembre 1991.



1. On a demandé à Myrna d'expliquer le sens de ce mot, elle répondit: "Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit."

2. Le récit de ses stigmates est à lire dans ses détails dans les mémoires du Père Elias Zahlaoui en français, Soufanieh. Le texte de ce livre en français est disponible aux éditions de l'O.E.I.L., F. X. de Guibert, France. (1991)

3 La lecture attentive des messages de ces deux ans ou Jésus seul parle, est du plus haut intérêt pour comprendre Soufanieh. On les trouve dans le livre du Père Élias Zahlaoui: Souvenez-vous de Dieu, aux éditions de l'O.E.I.L. France, Éditeur F.X. de Guibert.

4. P. Ricoeur, Temps et récits, tome I, introduction et passim, Seuil, Paris.

5. Voir surtout son livre l'Être et le Néant, Gallimard, Paris

6. Voir à cet égard les remarques judicieuses de Bergson dans La pensée et le mouvant (P.U.F.).

7. Aux Éditions du Seuil.

8. Voir Herbert Thurston: Les phénomènes physiques du mysticisme, Éditions du Rocher, Paris.

9. P. Ricoeur La paternité, du fantasme au symbole, in Le conflit des interprétations, Seuil, Paris.