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Le troisième anniversaire mardi 26 novembre 1985
Ce jour-là j'arrive à Soufanieh vers 17 heures 45. La foule remplit tout jusqu'à la porte extérieure. Difficilement, j'arrive à me frayer un chemin jusqu'à la chambre, où se trouve Myrna en extase. Ce fait m'étonne : l'année précédente, l'extase a eu lieu la nuit peu avant 23 heures. L'atmosphère est toute à la prière.
Dans la chambre - bondée de gens en prière - Myrna est "ailleurs". A droite du lit est agenouillé un homme d'une trentaine d'années, littéralement plongé dans une prière qui semble l'absorber complètement. Je remarque qu'il reste agenouillé durant toute l'extase, en dépit du fait que beaucoup entrent et sortent sans arrêt, mais toujours dans le calme : les gens veulent "voir". Le P. Malouli se trouve à une place qu'il n'a pas l'habitude de prendre : à genoux, au pied du lit, couvrant de ses deux mains les pieds de Myrna. Cette position m'étonne, mais dès que j'ai remarqué l'huile sur les pieds de Myrna - c'était la première fois que cela se produit -je comprends. Cependant, l'huile couvre aussi les mains de Myrna et son visage.
A un moment de son extase, Myrna paraît souffrir des yeux et commence à remuer la tête de gauche à droite, en un mouvement crispé et en pleurant. Sa mère lui éloigne les mains du visage. Ces gestes se répétant, je dis à la mère :
- Laisse-la ! N'aie pas peur : la Vierge ne lui permettra pas de se faire du mal.
Un moment après, Myrna se calme et retrouve son immobilité habituelle.
Parmi les personnes présentes, il y a un homme qui paraît la quarantaine et que je n'ai jamais vu à Soufanieh. Il se tient près du lit. Il soumet Myrna à une série de tests qui permettent de conclure que c'est un médecin. Entre autres tests qu'il se permet de faire, il introduit une lame de couteau sous l'ongle de l'index droit de Myrna. Nicolas veut l'en empêcher, mais je l'engage à le laisser faire. Le sang coule, mais Myrna n'a aucune réaction.
A la fin de l'extase, elle ressent une douleur au doigt et on constate que l'ongle a été en partie détaché de la chair. A un moment donné, je demande à ce "médecin" son nom. Il me répond avec un pur accent libanais, disant un nom typiquement libanais, et ajoutant même le nom de son village d'origine.
Dès que Myrna reprend contact avec l'extérieur, il disparaît et je ne le reverrai plus par la suite. Les prêtres présents, interrogés sur ce médecin, avouent ne pas le connaître. Ces prêtres sont - outre le diacre avocat orthodoxe Spiridon Jabbour - les PP. Joseph Malouli, Élias Baladi, Pierre Veau, Ibrahim Mousleh, Alam Alam et moi-même.
Le cameraman Nabil Choukair, toujours présent, est tellement ému au réveil de Myrna de son extase, qu'il demande à son assistant Tony Youakim de prendre la caméra et de filmer.
Pour ma part, je note tous les mots et gestes de Myrna, dès le premier instant où elle commence à ouvrir les yeux. Voici une partie de ce que je note:
Le premier mot que prononce Myrna après qu'elle a ouvert les yeux est : «Seigneur ! » tandis qu'elle fait un grand signe de croix sur sa poitrine. Puis elle dit à son mari assis à côté, d'elle sur le lit
- Je ne vois rien.
Dans le patio, les gens chantent d'une seule voix l'hymne marial
"Nous sommes tes serviteurs, ô Mère de Dieu". Des larmes coulent sur les joues de Myrna. Je dis à Nicolas
-Regarde, elle pleure !
Nicolas lui demande alors - Pourquoi pleures-tu ?
Elle répond : - Je ne pleure pas.
Pourtant, les larmes continuent de couler calmement sur ses joues.
Un moment passe... puis Myrn demande : - Y a-t-il quelqu'un dans la chambre ?
Je lui dis, avec Nicolas, que la chambre est pleine de monde. Elle dit alors, sans regarder nulle part :
- Je ne veux dans la chambre que les prêtres.
Nicolas lui dit : - Et moi ? - Même toi, tu sors !
Je lui dis : - Et le cameraman ?
Elle répond : - Comme tu veux ?
Peu à peu la chambre se vide. Nicolas place près de la tête de Myrna un appareil enregistreur très petit, allumé une veilleuse au-dessus de sa tête, éteint la lumière de la chambre et sort. Je demande alors à l'assistant du cameraman, Tony Youakim, de sortir lui aussi.
Il fait semblant de sortir, se tapit dans le coin sombre de la pièce et essaie de faire fonctionner la caméra, mais en vain. Il tente cela à plusieurs reprises, mais toujours en vain. Il sort voir Nabil qui s'étonne de ce que lui raconte Tony, Nabil essaie alors l'appareil qui fonctionne sans aucun accroc. Tout cela, je l'apprends quelques minutes plus tard, de la bouche même de Nabil et de Tony.
Pour en revenir à Myrn, les prêtres et le diacre Spiridon restent seuls dans la chambre avec elle. Nous nous regroupons autour du lit.
Myrna essaie de se redresser pour s'adosser à quelque chose. Je place l'oreiller dans son dos, tandis qu'elle dit: «O Vierge ! »
Devant tous, je lui demande : - Myrna, tu as vu quelque chose ?
Elle répond :
- J'ai vu Jésus et Il m'a parlé, mais je n'ai rien compris. C'est la prémière fois qu’il me parle, mais je n'ai rien compris.
Je lui dis alors : - Ça ne fait rien. Dis ce que vous vous êtes dit.
Myrna commence à prononcer des mots, tandis que je note. Elle semble dans un état proche de la léthargie. Certains mots sont bien clairs, d'autres ont besoin de plus de clarté, ce qui me pousse à lui demander de répéter. Ainsi j'écris en présence de tous les prêtres le dialogue suivant, enregistré d'ailleurs sur cassette
«Ma fille,
Veux-tu être crucifiée ou glorifiée ? Réponse : glorifiée.
Le Christ sourit et dit
Préfères-tu être glorifiée par la créature ou par le Créateur ?
Réponse : Par le Créateur.
Le Christ :
Cela se réalise par la crucifixion, car toutes les fois que tu regardes les créatures, le regard du Créateur s'éloigne de toi.
Je veux, ma fille, que tu t'appliques à la prière et que tu te méprises.
Celui qui se méprise augmente en force et en élévation de la part de Dieu.
Moi, j'ai été crucifié par amour pour vous, et je veux que vous portiez et supportiez votre croix pour Moi, volontairement, avec amour et patience, et que vous attendiez ma venue.
Celui qui participe avec Moi à la souffrance, je le ferai participer à la gloire.
Pas de salut pour l'âme sinon dans la Croix.
Ne crains pas ma fille,
Je te donnerai de mes plaies de quoi payer les dettes des pécheurs.
C'est la Source à laquelle se désaltère toute âme.
Et si mon absence se prolonge et que la lumière s'éclipse pour toi, ne crains pas :
ce sera pour ma glorification.
Va à la terre où la corruption s'est généralisée, et sois dans la paix de Dieu. »
Quand Myrna a terminé la dictée de ce message, elle dit aussitôt :
- C'est beau ou ça fait peur ?
Le diacre Spiridon lui répond en souriant : - C'est très beau et ça fait très peur !
Or, pendant tout le temps qu'a duré la dictée du message, il n'a cessé de répéter : «Magnifique ! Magnifique » Une fois le message terminé, il dit :
- C'est la langue de saint Siméon, le Nouveau Théologien.
Je demande à Myrna : - Tu ne comprends pas ce que tu viens de dire ?
Elle répond : - Non.
Je lui dis aussi - Comment vois-tu maintenant ?
Elle répond : - La lumière me remplit toujours les yeux.
Je regarde ma montre : il est 18 heures 46 exactement. A l'instant, je prie le P. Élias Baladi de bien vouloir écrire le message de sa belle écriture, sous ma dictée, en présence de tous les prêtres présents et du diacre Spiridon.
Je m'assieds dans le coin en face du lit. Nous faisons cercle et je dicte le message.
Or, à peine ai-je terminé la dictée et sur le point de me lever, que nous entendons Myrna dire :
- Oh, maintenant, je vois !
Elle se lève du lit et veut sortir aussitôt de la chambre. Nous sortons tous avec elle. Le patio est noir de monde. Certaines femmes l'approchent et l'embrassent. Certaines personnes essaient, à la vue de Myrna, de l'applaudir : les prêtres les en empêchent.
Myrna, elle, se dirige, marche d'un pas très naturel, et se tient au milieu de la foule en prière et émue à sa vue. Le diacre Spiridon se tient à côté d'elle. Il lit à haute voix le message en entier. Puis c'est au tour du P. Baladi de le dire de sa voix puissante.
Certaines personnes demandent à copier le texte du message et le font aussitôt. Mais quand je m'en rends compte, j'essaie d'arrêter cela de peur que des erreurs ne s'y glissent, étant donné l'émotion générale. Et voici que je constate sur l'une des "copies" des erreurs. Je me dis : déjà ! Et je réclame aussitôt le retrait de toutes les copies, de peur que les erreurs ne fassent leur chemin dehors et ne causent en conséquence du tort au Phénomène. Mais j'ignore si tous les textes copiés sont récupérés.
J'apprendrai par ailleurs qu'une personne qui était présente, mais déjà repartie, s'est portée volontaire pour faire imprimer le texte et le distribuer.
Or, le lendemain, quand j'arrive à Soufanieh, je vois déjà ces textes "imprimés", mais plusieurs erreurs, plus ou moins graves, s'y sont glissées. De nouveau, je sévis en réclamant l'arrêt de toute distribution, et le retrait de tous les textes aux mains des personnes présentes. Puis je dis à Nicolas très vertement que de telles initiatives doivent cesser à tout prix, car, quoique bonnes, elles peuvent être très dangereuses.
Le soir et la nuit du 26 novembre - pour en revenir à ce qui a suivi l'extase -, on a vu, parmi les personnes présentes, le chanteur libanais Samir Hanna. Puis, vers 22 heures 30, est arrivé le frère du chanteur Wadi Assafi, Élie, avec son accordéon. La prière s'est poursuivie au son de l'accordéon, tandis que Élie Assafi a chanté d'une voix très douce des hymnes à la Vierge. Naturellement, le cameraman Nabil Choukair et sa caméra sont toujours là.
Peu après, le chanteur Wadi Assafi téléphonera de Paris pour savoir si quelque chose a eu lieu. Puis ce sera au tour du chanteur Tony Hanna de téléphoner de Detroit aux Etats-Unis, dans le même but. Nombreuses sont les personnes venues du Liban, de Syrie, surtout d'Alep, et de Jordanie.
Je quitte Soufanieh à 23 heures 30, la maison étant toujours pleine de monde.
Le lendemain matin, vers 9 heures, le docteur Élie Barsa, dentiste, me rend visite. Un coup de téléphone du docteur Élie Ain m'apprend qu'il est revenu à Soufanieh à 1 heure du matin et qu'il a trouvé la maison encore pleine de monde en prière. Peu après, nouveau coup de téléphone, cette fois du chantre Michel Barbara - un habitué - qui me dit qu'il est revenu à Soufanieh à 1 heure 30 du matin et qu'il a, lui aussi, trouvé la maison encore pleine de gens en prière.
Enfin, à propos de cette extase, j'estime de mon devoir de transcrire ce que le diacre Spiridon a noté de sa main, lors d'une question qu'il a posée à Myrna aussitôt après l'extase :
Spiridon: «Comment était Jésus ? »
Myrna : «Blanc, lumineux. Assis, mais sur rien. Je me tenais debout. Jésus avait un manteau rouge. Ses deux mains et ses deux pieds et autour de lui : tout était lumineux. Les traits de son visage : chevelure longue et une barbe. L'image n'était pas très claire. Jésus est très beau. »