Chrétiens divisés, Pâques séparées - père Thomas FitzGerald

Il y aura deux célébrations de Pâques cette année (2005).

Pour la plupart des catholiques et des protestants, la fête de Pâques, laquelle est la plus importante des célébrations chrétiennes, sera célébrée le 27 mars. Mais pour la plupart des orthodoxes ainsi que certains catholiques et protestants au Moyen-Orient, Pâques sera célébrée le 1er mai.

La divergence concernant le calcul de la date chaque année est due aux différentes méthodes utilisées. Les Églises d'orient et d'occident ont suivi la même formule pour déterminer chaque année le Dimanche de Pâques en adoptant la décision du concile de Nicée, en Asie Mineure, en l'an 325. Là, il fut déterminé que Pâques serait célébrée le premier dimanche, après la pleine lune, suivant l'équinoxe du printemps.

Bien que tous puissent être d'accord sur cette décision, différentes méthodes furent adoptées pour calculer la date du Dimanche de Pâques. Depuis le 16ème siècle, ces différences résultent surtout de l'adoption du plus ancien et moins précis calendrier Julien par les chrétiens orientaux ou du calendrier Grégorien par l'Église d'Occcident, l'Église latine.

Il arrive qu'à certaines années, comme 2001 et 2004, les différentes méthodes de calcul aboutissent à une date commune. La prochaine fois, cela surviendra en 2007. Les autres années, telle cette année, les dates accusent jusqu'à cinq semaines d'écart.

Différences lors de l'Église des premiers temps.

Des différences pour fixer la date annuelle de Pâques existaient déjà du temps de l'église post-apostolique. Les premiers chrétiens reconnaissaient que la Résurrection du Christ était l'événement le plus important dans leur vie et le point central du message évangélique. Cependant, des divergences existaient quant à l'observation liturgique de la commémoration annuelle de la Résurrection de Notre-Seigneur. Il est vrai que les Évangiles ne fournissent pas la date précise de la Résurrection. Ils mentionnent seulement qu'elle a eu lieu le premier jour de la semaine et qu'elle était reliée à la Pâque (juive). Selon les Évangiles synoptiques, la Cène était le repas de Pâques, ce qui situerait la mort de Jésus le lendemain. Selon l'Évangile de Jean, la mort serait survenue le jour même de Pâques.

Durant les trois premiers siècles, plusieurs églises chrétiennes de Syrie, de Cilicie et de Mésopotamie, suivirent le calendrier lunaire hébreu et observèrent la Pâques chrétienne en conjonction directe avec la Pâque (juive) lors de la pleine lune suivant l'équinoxe du printemps.  Historiquement connus sous le nom de Quartodecime, ils optèrent pour le 14ème jour du mois hébreu de Nisan pour célébrer la fête de la mort du Christ et de Sa Résurrection.  De même que pour la Pâque (juive), l'évènement marquant la mort et la Résurrection du Christ pourrait être observée n'importe quel jour de la semaine.

D'autres Églises régionales à travers l'Empire Romain de l'époque, décidèrent de considérer la Résurrection indépendamment de la Pâque (juive) biblique, tout en ne l'ignorant pas. Ils préféraient célébrer la Résurrection suivant le dimanche de la commémoration biblique de Pâque (juive). L'observance annuelle d'un dimanche pascal était en harmonie avec l'observance hebdomadaire du Jour du Seigneur, le premier jour de la semaine (Jean 20:1, Rev 1:10). Cette pratique a pu refléter le développement de coutumes liturgiques faisant la distinction entre l'événement de la mort du Christ et l'événement de Sa Résurrection. A cette époque, la majorité des chrétiens à l'intérieur de l'Empire Romain suivaient le calendrier civil julien ou le calendrier lunaire hébreu.

Les deux traditions pour fixer la date annuelle de la célébration de la Résurrection étaient censées être d'origine apostolique. Les tenants des deux traditions se référaient à des passages bibliques et à d'anciennes traditions pour soutenir leur pratique. Cet état de fait contribua à la dissension concernant la pratique d'observance de la Pâques annuelle chrétienne. A compter du 4ème siècle, la célébration liturgique annuelle de la Résurrection du Christ était devenue fermement ancrée dans la vie de l'Église. Les différences quant à l'établissement de la date annuelle de cette observance devenait, cependant, une source de sérieuse controverse.

Le Concile de Nicée, an 325.

Des discussions eurent lieu lors de plusieurs conciles régionaux tout au long des 2e et 3e siècles afin de s'efforcer de trouver une solution à la controverse. Ce ne fut qu'en 325, au Concile de Nicée, qu'une solution fut trouvée. Bien que ce concile, reconnu comme le premier concile oecuménique, soit notoire principalement pour son opposition à l'hérésie d'Arius, des relations subséquentes de ce Concile indiquent que la question de la date de Pâques reçut également une attention considérable.

Le Concile de Nicée décida que la fête de Pâques serait observée par toute l'Église le même dimanche. La formule proposait que Pâques soit célébrée le premier dimanche après la pleine lune suivant l'equinoxe du printemps. Cette formule s'assurait que l'observance de Pâques ne dépendrait pas du calcul de la Pâque (juive) qui, elle aussi, variait parfois. Au 3ème siècle, quelques communautés juives calculaient la fête de Pâque sans référence à l'équinoxe du printemps. La formule de Nicée ne fit pas de référence explicite à la Pâque (juive). Toutefois, en se référant à la pleine lune après l'équinoxe de printemps, la formule s'assurait que Pâques suivrait toujours le souvenir (commémoration) de la Pâques biblique (Exode 12:18, Lev. 23:5, Deut 16,1-2). Cela explique le fait que Pâques ne survient pas, à date fixe, chaque année.

Quelques difficultés relatives au calcul annuel du dimanche de Pâques continuèrent à surgir dans certaines régions de l'Église, notamment en Grande-Bretagne, en Irlande et en Gaule. Le célèbre synode de Whitby en 664 traita de la question de la célébration de Pâques. Dans certaines régions de l'Église, des difficultés survinrent non seulement concernant l'acceptation de la formule pascale de Nicée mais aussi relativement aux différentes tables de calcul utilisées pour déterminer à l'avance la date de Pâques Malgré tout, la formule du Concile (de Nicée) fut acceptée, généralement, à travers toute l'Église, au septième siècle.

Un consensus important avait été exprimé par le Concile de Nicée. On était profondément convaincu que la célébration de la Résurrection du Christ ne devait pas être une cause de division pour les Chrétiens. L'évènement historique de la Résurrection du Christ représentait une expression puissante de l'amour du Père et la victoire divine sur les puissances du péché, Satan et la mort. La résurrection était une affirmation conjointe de la victoire de Dieu et du cadeau de réconciliation de Dieu en Christ. Ainsi, l'évènement de la Résurrection du Christ figurait au coeur de la foi et de la mission de l'Église de même que témoin du Nouveau Testament et de la dévotion chrétienne.

Il semblerait que ces convictions auraient été au coeur de la détermination de l'Église dans son affirmation que la Fête des Fêtes devrait être célébrée à travers l'Église, le même dimanche. Bien qu'un large éventail de pratiques et de coutumes religieuses aient existé dans les différentes Églises, un consensus s'était développé, à savoir que la fête de la Résurrection revêtait une telle importance que toute l'Église devait s'efforcer d'être unie dans une même observance à travers le monde.

Divisions plus récentes.

L'observance du dimanche de Pâques devint de nouveau associée à la division des Églises à l'aube du schisme entre Chrétiens d'Orient et Chrétiens d'Occident au Moyen-Age, en 1056, de même que la Réforme Protestante du 16ième siècle, en 1517.

La réforme du calendrier julien approuvée par le Pape Grégoire XIII en 1582 était basée sur des données astronomiques et scientifiques. C'était le désir de faire coincider la date de l'équinoxe du printemps du 21 mars avec l'évènement astronomique en question. Au 16ième siècle, le véritable équinoxe du printemps avait lieu 10 jours avant la date (calendrier) traditionnelle en raison de l'accumulation des inexactitudes du calendrier Julien. En d'autres termes, Pâques n'était pas calculé proprement selon la formule de Nicée.

La révision du calendrier, laquelle incluait la correction de l'observance de Pâques, ne fut pas facilement acceptée par ceux qui n'étaient pas catholiques. Le « nouveau » calendrier devint un autre sujet de dispute parmi les Églises et les communautés chrétiennes divisées. Quant aux Églises protestantes, la controverse dura jusqu'au milieu du 18ième siècle.

Les orthodoxes refusèrent d'accepter tout changement au calendrier, jusqu'au début du 20ième siècle. Ce ne fut qu'en 1923 seulement que la plupart des Églises orthodoxes régionales adoptèrent une révision de l'ancien calendrier julien pour le rendre semblable au calendrier grégorien. Cela veut dire que la plupart des Églises orthodoxes célèbrent les 'fêtes fixes' tel Noël à la même date que les catholiques et les protestants. Les exceptions les plus notables à ce qui précède sont les Églises orthodoxes de Russie et de Jérusalem qui continuent à suivre l''Ancien Calendrier' pour toutes les fêtes.

Cependant, la plupart des Églises orthodoxes régionales, ne modifièrent pas la méthode de calcul de la date de Pâques. Pour la plupart des orthodoxes, les calculs de la date de Pâques ainsi que des fêtes reliées à l'Ascension et à la Pentecôte, sont déterminées par des calculs utilisant l'ancien calendrier julien. L'exception majeure à ceci provient de l'Église Orthodoxe de Finlande qui, elle aussi, calcule la date de Pâques selon le nouveau calendrier révisé. Les autres Églises orthodoxes on été hésitantes à reviser les calculs de la fête de Pâques de peur de divisions additionnelles dans les Églises régionales.

Les différences actuelles quant au calcul pour déterminer chaque année la date du dimanche de Pâques, reflète les divisions tragiques qui affectent les Églises chrétiennes. Comme conséquence de ces divisions, la date de Pâques est utilisée en certaines endroits comme expression de distinction et de différence parmi les Églises chrétiennes. La perspicacité du Concile de Nicée semble être oubliée spécialement là où des tensions historiques prévalent entre les traditions chrétiennes.

Nouvelles discussions.

Une plus grande attention a été donnée au sujet de la date de Pâques depuis que le contact entre les églises divisées, les dialogues théologiques et le désir de réconciliation ont augmenté au cours des cent dernières années.

Il est de plus en plus évident que dans plusieurs Églises, on ressent le besoin de trouver une solution permettant à tous les chrétiens de célébrer ensemble la fête de Pâques chaque année. En plusieurs endroits, des familles sont divisées à cause de ces observances séparées. Dans plusieurs sociétés, témoigner de Jésus et de Son Évangile est affaibli par le signe de la division de l'Église. En reconnaissance de cet état de fait, certaines églises catholiques et protestantes dans certaines régions du Moyen-Orient ont accepté de suivre la date de la Pâques orthodoxe comme expression intérimaire de témoignage commun.

Durant les années 60 et 70, des discussions furent entamées par les églises à l'effet de pouvoir établir une 'date fixe' pour le dimanche de Pâques, et qui serait la même chaque année. Le jour habituellement proposé était le second dimanche d'avril. Bien que toutes les églises ne fussent pas enthousiastes pour cette proposition, elle reçut un certain support de la part de ceux intéréssés à standardiser les dates du calendrier pour les gouvernements, les milieux d'affaires et les écoles.

Après nombre de conférences traitant de la date du calendrier et ce, depuis 1977, cette proposition fut implicitement rejetée par les Églises orthodoxes en 1982. Les raisons de ce rejet reflétaient également les inquiétudes qui avaient été soulevées par certains théologiens catholiques et protestants. Les orthodoxes étaient principalement troublés par le fait que la 'date fixe' proposée préfigurait un éloignement dramatique de la décision du Concile de Nicée, toujours suivi en principe par la plupart des Églises chrétiennes. De plus, l'Église orthodoxe mettait en garde qu'une nouvelle formule, suivie par quelques chrétiens, ne contribuerait pas au procédé de réconciliation et à l'unité de l'église.

La plus récente consultation oecunémique de haut niveau fut tenue en 1997 à Alep, en Syrie. Conjointement patronnée par l'Assemblée des Églises du Moyen-Orient et par l'Assemblée Mondiale des Églises, la consultation a réuni des représentants des Églises Orthodoxes, Catholiques, de la Communion Anglicane ainsi qu'un nombre d'Églises Protestantes.

La Consultation d'Alep réaffirma le rôle primordial de la Résurrection du Christ pour la foi chrétienne, la pratique religieuse de l'Église et la vie de tout chrétien. La Consultation reconnut également le rôle qu'a joué le Concile de Nicée en affirmant l'importance d'une observance unifiée de la Résurrection pour l'Église entière.

Avec cela en tête, la Consultation émit un nombre important de recommandations aux Églises afin d'aboutir à un accord en vue de déterminer la date de Pâques, à l'avenir.

Premièrement, la consultation recommandait que les Églises maintiennent les normes établies par le Concile de Nicée. En ce faisant, la Consultation affirmait l'importance actuelle de la décision de Nicée à mettre l'emphase sur la signification d'une célébration unifiée. En suivant les normes de Nicée, cela voudrait signifier également que le lien entre la Pâque juive et la description de la mort et de la Résurrection selon le Nouveau Testament serait maintenu. C'est pourquoi la Consultation rejeta toute tendance vers une 'date fixe' tel qu'un dimanche particulier, en avril.

Deuxièmement, la Consultation recommandait que les données astronomiques requises pour déterminer le dimanche de Pâques d'année en année soient calculées avec les moyens scientifiques disponibles les plus précis. En appendice, la Consultation fournit un tableau de dates de Pâques basé sur des données astronomiques précises.

Troisièmement, la Consultation recommandait que la base de cette reconnaissance puisse être le méridien de Jérusalem, lieu de la mort et la Résurrection du Christ.

Finalement, la Consultation exhortait les Églises d'entreprendre une période d'étude et de réfléxion dans le but de pouvoir établir ensemble la date de Pâques, dans les années à venir.

Deux célébrations, cette année.

Les difficultés entourant la date de Pâques seront particulièrement visibles cette année. La plupart des Chrétiens orthodoxes observeront la Fête de Pâques cinq semaines après la plupart des Catholiques et des Protestants. Dans plusieurs endroits, des familles seront divisées lors de leurs célébrations (respectives). Dans plusieurs pays, des Églises chrétiennes témoigneront de leurs divisions à travers ces célébrations. En d'autres régions, spécialement là ou les chrétiens sont en minorité, leurs célébrations séparées affaibliront leur pouvoir de témoigner, vis-à-vis de tous.

Le concile de Nicée reconnut les difficultés inhérentes dans de pareilles célébrations séparées. En mettant l'accent sur l'importance d'une célébration unifiée, le Concile de Nicée réaffirmait en fait le sens le plus profond de la Résurrection et empêchait les Églises d'être un ferment de division. En célébrant cette "Fête des Fêtes", les chrétiens se remémorent tous les faits importants de Dieu qui sont centrés sur la mort et la Résurrection du Christ. Le Dieu trinitaire a agi afin de restaurer en nous l'unité avec nous-mêmes, les uns envers les autres ainsi qu'avec la création entière. La commémoration joyeuse de la Résurrection du Christ est une célébration d'unité et de réconciliation.

Une célébration commune solennelle et joyeuse de la Résurrection du Christ, par tous les Chrétiens à travers le monde peut devenir un témoignage considérable de l'action toute puissante du Père en Christ ainsi que de notre réponse fidèle à Lui dans l'Esprit.

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Thomas FitzGerald est prêtre et théologien à l'Archidiocèse Grec-Orthodoxe d'Amérique. Il est professeur d'Histoire de l'Église et de Théologie Historique à l'École de Théologie Grecque Orthodoxe de la Sainte Croix, à Brookline, Massachussets. (Traduit de l'original anglais avec la permission de l'auteur).