VISITE À L'ÉGLISE QUI EST EN SYRIE

EXTRAITS DE CHRÉTIENS MAGAZINE N* 107 (15 Janvier 1998)

J'ai été invité en Syrie, en novembre - décembre dernier, pour l'anniversaire des faits surnaturels commencés le 27 décembre 1982.

Les lecteurs de Chrétiens Magazine connaissent bien les faits de Soufanieh : depuis novembre 1982 (un an après Medjugorje), des effusions, apparitions et messages à Myrna, jeune mère de famille, se sont succédé dans cette maison. Elle est devenue un haut lieu de prière, fréquenté par des chrétiens, mais aussi, discrètement et pacifiquement, sans prosélytisme, par des musulmans: admirateurs de la Vierge selon le Coran. Je n'ai pas visité seulement Soufanieh (ce quartier de Damas), mais plus largement l'Église qui est en Syrie. Elle vit en surfant avec calme sur d'énormes problèmes. Elle est minoritaire, dans une masse musulmane plus tolérante assurément que celle d'Arabie Saoudite où toute église, toute célébration chrétienne est interdite, même pour les aumôniers militaires des États-Unis durant la guerre du Golfe.

Les chrétiens doivent assumer aussi le rapport avec les diverses confessions orientales séparées de Rome : orthodoxes, syriaque, arménienne.

Quatre évêques ont concélébré la messe pour le 4ème anniversaire des apparitions de Soufanieh.

Entre catholiques, les relations sont pareillement multiples, superposées car il y a deux rites orientaux.

- Les Grecs, dits melkites, rattachés à Rome, mais soucieux d'un retour à leur famille orthodoxe, dans une double fidélité : pari difficile qui rencontre plus de difficultés du côté des orthodoxes que du côté de Rome.

- Les maronites sont aussi des chrétiens de rite oriental, mais indivis, et de toujours rattachés à Rome... sans frères ennemis.

Cela fait quantité d'évêques et de hiérarchies avec d'autant plus de problèmes qu'il y a beaucoup de foyers mixtes, sinon une majorité : à Soufanieh, Myrna est catholique, mais son mari, Nicolas, est orthodoxe, sans différence de foi.

Toutefois, en Syrie, Rome n'a pas fondé une Église latine en plus de toutes les Églises orientales, carminienne syriaque, comme elle l'a fait en Palestine en instaurant un patriarcat latin (ce qui fait un groupe de plus sur cette terre de toutes les divisions et de tous les conflits). Je n'ai pas entendu parler d'une Église latine en Syrie, j'ai concélébré ma messe quotidienne avec des grecs catholiques ou des maronites. A Soufanieh même, je n'ai pas vu seulement Myma et Nicolas. Pour l'anniversaire de l'apparition, 4 évêques étaient venus concélébrer dans leur domicile devenu chapelle dont ils sont les chapelains. On m'y a conduit, le 26 novembre, aussitôt après mon débarquement d'avion. Après une longue soirée de prière, à 11 heures du soir, l'archevêque grec catholique de Tripoli, coiffé de la somptueuse couronne de son rite, concélébrait avec un archevêque libanais, le vicaire patriarcal melkite et le Nonce apostolique de Damas.

Ce dernier, tout proche de Myrna, a vu la première effusion d'huile perler sur son visage, à la fin de la messe. Il a recueilli l'huile sur un linge, suivi d'autres linges qui parcouraient la foule. Il a chanté, de sa très belle voix, un cantique très priant à la Vierge qui a fortifié le recueillement général de cette foule debout, serrée : plus de 200 personnes débordant de la salle de séjour, à minuit passé.

Il y avait également 4 évêques le lendemain, 27 novembre, à la cathédrale maronite pour une seconde célébration télévisée, (une télévision un peu encombrante qui gênait la prière : constamment en plein centre, entre célébrants et fidèles, en tournant alternativement la caméra d'un côté puis de l'autre). On n'arrête pas le progrès ? On n'a pas su défendre le sacre et son intimité contre l'intrusion des médias.

Le Nonce, appelé à Beyrouth, n'était pas là, mais un autre évêque était venu. A la dernière conférence que j'ai donnée à Alep, la plus ancienne grande ville du monde, florissante depuis des millénaires avant Jésus-Christ, trois évêques assistaient : grec catholique, maronite et syriaque, relevant chacun de leur patriarche uni à Rome.

La maison chapelle de Myrna

Imaginez-vous ce que serait votre vie, si, à la suite d'un signe du ciel, la pièce principale de votre maison devenait une chapelle ouverte où les gens défileraient sans arrêt. C'est bien ce qui arrive dans la grande salle de séjour des Nazzour : Nicolas, Myrna et leurs deux enfants à Soufanieh. C'est là qu'ils se tiennent toute la journée. C'est là qu'ils mangent, et Myrna, selon la politesse traditionnelle du monde arabe, ne sait pas se mettre à manger sans dire "voulez-vous partager ? "

Les gens acceptent, trop heureux d'un repas avec Myrna, mais cela pose bien des problèmes. Nicolas, avec sa raison de chef de famille, pense que c'est trop, mais Myrna, entraînée par son bon cœur et la tradition hospitalière a du mal à faire autrement. L'an dernier, le Père Zahlaoui, préoccupé de les voir envahis jour et nuit, avait établi des heures d'ouverture et de fermeture. Mais quand on frappe, Myrna et Nicolas ne savent refuser l'adage évangélique "frappez et l'on vous ouvrira. "

Même de nuit, quand la porte est fermée de 8 heures du soir à 7 heures du matin.

Comment est-il possible de vivre dans de pareilles conditions ? Toute le famille couche dans une seule chambre qui fait à peu près 4 mètres sur 4. Les deux enfants dormant dans un lit à deux étages, à côté du lit des parents. Le mobilier minimal étant aligné au plus court le long des murs, dans l'ordre et la propreté. Myrna est une maman très tendre et très présente. Les enfants se regroupent facilement près d'elle. Ils faisaient grappe, tout contre elle, durant, la messe anniversaire du 26 novembre. Le garçon, vraie force de la nature, plus extraverti que sa sœur, était aussi près d'elle. Mais contrairement à l'an dernier où il avait plus ou moins bien lutté contre le sommeil, en dormant debout, il a compris, peu avant l'offertoire, qu'il ne tiendrait pas. Après consultation de sa maman, il est raisonnablement parti dormir. Minuit approchait.

Quant à Nicolas, il s'est révélé un manager extraordinaire pour le centre de formation professionnelle que le Père Zahlaoui l'a chargé de fonder dans les faubourg de Damas, où affluent, par centaines de mille, les gens de la campagne en voie de désertification, qui viennent chercher du travail et n'en trouvent pas, faute de qualification. Au centre d'apprentissage accéléré de six mois, Nicolas forme des coiffeurs, des techniciens pour ordinateurs, des tailleurs et couturières. On y enseigne les langues (surtout l'Anglais, aujourd'hui nécessaire, et les jeunes apprennent vite en ce pays de langue arabe où l'oreille est très ouverte). Chaque six mois, après un compagnonnage tonique, un nouveau groupe opérationnel de travailleurs qualifiés sort du centre. Ils trouvent facilement du travail. Ils ont bénéficié d'un climat authentiquement éducatif. L'ambiance du centre est restée tout à fait extraordinaire d'entraide et d'entente.

" Mais comment vous en tirez-vous dans un local si limité : un petit immeuble à un étage, avec des professeurs bénévoles, des médecins, également bénévoles, et des gens de toutes provenances, souvent en détresse. Comment faites-vous régner cette atmosphère détendue et fraternelle ? " Il m'a répondu d'un mot: " On s'aime." C'est le secret du centre, c'est le secret de la famille, c'est aussi le secret du groupe de prière qui continue si profondément à Soufanieh. J'en ai moi, aussi, bénéficié.

René Laurentin